Dans un village enclavé d’Europe de l’est, peuplé d’âmes frustres, arrive un étranger. L’inexplicable présence de cet excentrique dans une vallée si reculée, attisera tant la méfiance des habitants qu’il finiront par le tuer. Brodeck, celui qui a un peu d’instruction et une machine à écrire, sera chargé d’écrire le rapport et la justification des faits.
Une construction impeccable
Ce roman est d’abord une merveille d’équilibre dans sa rédaction. On oscille sans cesse entre le passé et le présent, manière pour Claudel d’étirer l’exposition des faits et les révélations sur Brodeck au maximum, sans pour autant jamais frôler l’ennui. La mise en abime de Brodeck, racontant l’écriture de son rapport, démontre encore un peu plus la virtuosité de l’ensemble.
Des âmes grises
Une ambiance délétère imprègne la vie de ce village et si les habitants sont esquissés par petites touches, ils finissent par dévoiler leur monstruosité de façon si éclatante, qu’on en garde une amertume tenace, plusieurs jours après la lecture. Ce n’est pas forcément agréable à lire, tant la noirceur de l’âme humaine y est brillamment révélée, mais arrêter la lecture est impossible. L’histoire de Brodeck est trop émouvante. A lire absolument
Un court extrait du livre
Je m’appelle Brodeck et je n’y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache. Moi je n’ai rien fait, et lorsque j’ai su ce qui venait de se passer, j’aurais aimé ne jamais en parler, ligoter ma mémoire, la tenir bien serrée dans ses liens de façon à ce qu’elle demeure tranquille comme une fouine dans une nasse de fer.
Le rapport de Brodeck – Philippe Claudel
Mais les autres m’ont forcé : « Toi, tu sais écrire, m’ont-ils dit, tu as fait des études. » J’ai répondu que c’étaient de toutes petites études, des études même pas terminées d’ailleurs, et qui ne m’ont pas laissé un grand souvenir. Ils n’ont rien voulu savoir : « Tu sais écrire, tu sais les mots, et comment on les utilise, et comment aussi ils peuvent dire les choses. Ça suffira. Nous on ne sait pas faire cela. On s’embrouillerait, mais toi, tu diras, et alors ils te croiront. Et en plus, tu as la machine. » La machine, elle est très vieille. Plusieurs de ses touches sont cassées. Je n’ai rien pour la réparer. Elle est capricieuse. Elle est éreintée. Il lui arrive de se bloquer sans m’avertir comme si elle se cabrait. Mais cela, je ne l’ai pas dit car je n’avais pas envie de finir comme l’Anderer.