de Jacqueline de Romilly
« Pourquoi la Grèce ? » de Jacqueline de Romilly explore les raisons de l’influence durable de la civilisation grecque sur la culture européenne.
L’auteure met en exergue cinq apports essentiels des anciens grecques qui expliquent l’empreinte qu’ils ont laissé sur le monde occidental :
- L’invention de la démocratie : berceau de la démocratie, la Grèce invente un système politique pérenne et qui façonnent encore l’organisation sociale et politique du monde civilisé.
- La naissance de la philosophie : Les Grecs ont été les premiers à s’interroger sur le monde et l’homme, ses caractéristiques universelles au delà du monde grecque et sur la possibilité d’avoir un œil critique sur les dogmes et la religion. L’odyssée d’Homère est le premier texte ou un homme défie un Dieu.
- L’avènement de la littérature grecque : ses poèmes, ses tragédies ou ses comédies, serviront de modèle inspirants aux écrivains de tous temps.
- L’art : Les Grecs ont développé un art et une architecture uniques, maintes fois copiés et qui se caractérisent par une recherche d’harmonie et de perfection qui ont influencé l’art européen pendant des siècles.
- La méthode scientifique : Les Grecs ont fait maintes découvertes scientifiques dans des domaines comme les mathématiques, l’astronomie ou la médecine. Leur apport est décisif et pose un socle solide pour les progrès de la science moderne.
Jacqueline de Romilly (de l’académie française) montre comment la civilisation grecque à façonné la culture européenne, et comment son influence a perduré pendant des siècles, jusqu’à nos jours. Elle montre la richesse d’un héritage, et nous invite à chérir ce leg comme le socle du monde dans lequel nous vivons. Elle plaide également pour que l’enseignement du grec ancien perdure à l’école.
Un court extrait du livre
Quant à l’aide d’Athéna pour Ulysse, dans l’Odyssée, elle est moins éclatante, mais plus familière: elle introduit, cette fois, de vrais rapports d’amitié entre l’homme et la déesse. Lors de la merveilleuse rencontre d’Ithaque, quand Athéna a pris les traits d’un jeune pâtre et qu’Ulysse ne la reconnaît pas, elle se moque gentiment de lui et de ses ruses, puis elle rappelle qu’elle aime en lui son intelligence; pour cela, elle souhaite l’aider. Et, dès que Poséidon lui en laisse la possibilité, elle l’aide effectivement, avec un dévouement constant. Ses miracles sont tous au service d’un homme, qu’elle a librement choisi pour ce qu’il est.
Ce sont là des cas qu’il ne faut pas oublier – et que l’on ne peut pas oublier. Pourtant ils n’annulent en rien la cruauté des dieux, tout au contraire; car ils en sont le pendant. Les dieux interviennent pour soutenir un homme en ruinant son adversaire, pour soutenir un camp. en brisant ses ennemis. Seul l’arbitrage de Zeus arrête parfois leur zèle et les méfaits que causent. ensemble, leur parti pris et leur toute-puissance.
Les exemples sont nombreux, des tours cruels qu’ils jouent alors pour en venir à leurs fins, stimulant les colères, détournant les traits, cachant soudain leurs protégés, ou poussant un guerrier au combat en usant d’une illusion.
Mais c’est là que le choix d’Homère est peut-être le plus étonnant. Car l’impression donnée n’est pas, n’est jamais, celle d’un écrasement. Les hommes d’Homère gardent, même lorsqu’ils cèdent devant la puissance d’un dieu, une fierté qui leur est propre.
Ses personnages reconnaissent, avec une ironie pleine de pudeur. le succès sans mérite de ceux qui les écrasent. Le mot « facile >> est même employé à plu- sieurs reprises tête de vers, avant une pause, pour en caractériser cette action des dieux.
Un des cas les plus saisissants est celui de Patrocle. Apollon marche vers lui, et, de dos, le frappe de sa main; sous le coup, son casque tombe, sa pique se brise, sa cuirasse se détache. Un vertige le prend et il s’arrête, saisi de stupeur (XVI, 793-806). Hector n’a dès lors pas de mal à le tuer; et à triompher de lui. Mais Patrocle proteste ce sont Zeus et Apollon qui l’ont vaincu victoire facile ils ont eux-mêmes détaché ses armes (84624)… De même Achille reprochera à Apollon de se jouer de lui victoire facile, puisqu’il n’a rien à redouter en retour (XXII, 1925)…
Ce bref mot de commentaire est la seule protestation de ceux qui voient soudain le sort les condamner. Or il serait tentant de multiplier les cris de révolte, ou de désespoir, et de se dresser contre l’injustice des dieux.
La discrétion est la même lors de l’autre mort par trahison divine, qui répond à celle de Patrocle: quand Athéna prend d’un des fils de Priam; elle encourage Hector; elle l’accompagne. Et puis, au dernier moment, elle s’éclipse! Hector appelle en vain; alors il comprend; et c’est un autre texte que l’on citera ici dans les mots mêmes :
Hélas, dit-il, point de doute, les dieux m’appellent à la mort. Je croyais près de moi avoir le héros Déiphobe. Mais il est dans nos murs: Pallas Athéné m’a joué! A cette heure, elle n’est plus loin, elle est là pour moi toute proche, la cruelle mort. Nul moyen de lui échapper. C’était donc là depuis longtemps le bon plaisir de Zeus, ainsi que de son fils, l’Archer, eux qui naguère me protégeaient si volontiers! Et voici maintenant le Destin qui me tient…» (ΧΧΙΙ, 297-303).