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Une joie féroce de Sorj Chalandon

“Une joie féroce” de Sorj Chalandon, c’est l’histoire de Jeanne, une libraire qui voit sa vie transformée lorsqu’elle apprend qu’elle a un cancer. Dans cette épreuve, Jeanne découvre une nouvelle force intérieure. Pendant sa chimio thérapie elle rencontre trois autres femmes, Brigitte, Mélody et Assia, avec lesquelles elle partagent des expériences comparables qui les rapprochent.

Ensemble, elles se lancent dans un projet fou pour aider la plus jeune d’entre elles. Ce roman explore des thèmes de solidarité féminine et de quête de liberté. Chalandon montre avec douceur les difficultés de la maladie. Il parle aussi de la force de l’amitié et du courage face aux problèmes.

Un court extrait du livre

Il est rentré. Je ne dormais pas. Sur la première page de mon cahier, j’avais écrit:
Suis-je en train de vivre le début de ma mort? Cette phrase, simplement. Pour mieux la combattre j’ai aussi décidé de donner un nom à cette ordure. Le mot cancer était laid. Crabe? Insupportable. Maladie? Trop vague. On est malade d’un rhume, d’une grippe, d’un cœur fourbu, de la tête même, lory. qu’elle nous fait confondre les jours. Mais on n’est pas malade du cancer. Pas seulement. Malade? Le mot est trop petit, trop étriqué. Tout le monde est malade, tout le monde est souffrant, un peu, beau coup, à la folie. Le cancer n’est pas un rhume. Le cancer ne s’attrape pas, c’est lui qui vous attrape. Dans le mot cancer, il y a de l’injustice. De la traîtrise. C’est le corps qui renonce. Qui cesse de vous défendre. C’est une écharde mortelle. Un visiteur du soir que l’on voit se faufiler en tremblant. Il dormait sur votre seuil, comme un vieux chat fourbu. S’est installé sur le canapé. Puis dans votre lit. Puis s’est senti chez lui partout dans la maison. C’est l’importun. Le nuisible. L’ennemi intérieur. Celui qu’on n’a pas vu venir. Je me suis demandé si le mal était entré en moi par effraction ou si je lui avais offert l’hospitalité. S’il s’était invité ou si je l’avais accueilli.

Quel nom lui donner? J’ai pensé au camélia. Un bouton rouge sang. Une fleur de décembre, le mois le plus éloigné du soleil. Voilà. Mon camélia. Mon hiver. Et aussi mes brumes, mes corbeaux sur la plaine, mes pluies infinies, mes brassées de chrysanthèmes à étouffer les morts.

Je suis entrée en brouillard comme on part au combat, en me rêvant avril.

Le Dr Hamm avait suivi mon père, ma mère et mon fils. Il m’avait connue enfant, et puis maman, et puis plus rien du tout. Une pelote de détresse qu’il lui a fallu dévider fil à fil. Il était au seuil de la retraite. Mais ne voulait pas encore abdiquer.

Vous avez quarante-huit heures pour choisir une équipe.

C’est ce qu’il m’a dit.

Une équipe ?

Il étudiait ma mammographie, mon écho. Il a enlevé ses lunettes et relevé la tête.

On s’est toujours parlé librement, Jeanne, non ? Oui. Bien sûr. Pour ma mère, mon fils. Jamais Isaac Hamm n’avait hésité sur les mots.
D’après vos résultats, c’est un cancer.

J’étais bouche ouverte.

– Je dirais, 90% de probabilité.

J’ai baissé les yeux. Il levait mes radios vers sa lampe de bureau. La dernière fois que nous nous étions vus, c’était pour un problème de dos. Rien du tout. Une douleur de libraire. Le poids des nouveau- tés, le fardeau des invendus. Une ordonnance, trois pilules, un sirop, une façon de prendre des nouvelles. La première fois, j’avais cinq ans. J’avais les oreillons. Nous venions d’emménager dans le quartier.

“Une joie féroce” de Sorj Chalandon
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