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La petite fille de monsieur Linh de Philippe Claudel

Un vieux homme en exil accompagné de sa petite fille, nourrisson de quelques semaines se lie d’amitié avec un veuf. Ils se sont rencontrés sur un banc public. Ni l’un ni l’autre n’arrive à franchir la barrière de la langue. Ils se comprennent pourtant à leur façon.

Séduite que j’étais par le rapport de Brodeck, je me suis laissé tenter par un autre roman de Philippe Claudel : la petite fille de monsieur Linh.

L’histoire

Monsieur Linh a donc quitté son pays en guerre, laissé derrière lui son village, son fils mort, sa belle fille morte, sa femme morte. Rien ne le retient désormais et il doit fuir la guerre pour sauver sa petite fille, la seule famille qui lui reste. Monsieur Linh est prêt a tout endurer pour sa petite fille. Il embarque donc dans un bateau et se retrouve dans une ville européenne, sans doute, française peut être. Logé avec d’autres réfugiés dans un foyer avec lesquels il ne s’entend pas, il finit par rencontrer, sur un banc public, un autre veuf. C’est alors une belle amitié qui va s’épanouir malgré la barrière de la langue.

Un joli conte

Le roman est extrêmement court et se lit en quelques heures. Le style est sobre mais porte beaucoup de sens. Jean-Paul Dubois, que j’aime beaucoup, arrive lui aussi à dire beaucoup de choses en peu de mots avec un style à l’économie. C’est pour moi la meilleure façon d’écrire (quand on y arrive). Après mes deux romans lus de Claudel, j’ai l’impression que l’auteur adapte son style à l’histoire qu’il raconte. Il dit : Souvent, de livre en livre, je change d’univers et d’écriture. Même s’il y a des thèmes communs, j’aime essayer d’autres voies. [1]

Philippe Claudel a le chic pour travailler un peu dans l’abstraction des lieux et des époques, que ce soit avec Brodeck ou avec monsieur Linh, les deux seuls romans de lui que j’ai lu (pour l’instant), il faut faire un petit effort pour savoir où et quand l’histoire se passe. Le cadre se dévoile petit à petit ; je trouve ça charmant. Et puis la fin de ce roman est touchante à souhait. Bref, j’ai passé un très beau moment.

Un court extrait du livre

C’est un vieil homme debout à l’arrière d’un bateau. Il serre dans ses bras une valise légère et un nouveau-né, plus léger encore que la valise. Le vieil homme se nomme Monsieur Linh. Il est seul à savoir qu’il s’appelle ainsi car tous ceux qui le savaient sont morts autour de lui. Debout à la poupe du bateau, il voit s’éloigner son pays, celui de ses ancêtres et de ses morts, tandis que dans ses bras l’enfant dort. Le pays s’éloigne, devient infiniment petit, et Monsieur Linh le regarde disparaître à l’horizon, pendant des heures, malgré le vent qui souffle et le chahute comme une marionnette.

Le voyage dure longtemps. Des jours et des jours. Et tout ce temps, le vieil homme le passe à l’arrière du bateau, les yeux dans le sillage blanc qui finit par s’unir au ciel, à fouiller le lointain pour y chercher encore les rivages anéantis.

Quand on veut le faire entrer dans sa cabine, il se laisse guider sans rien dire, mais on le retrouve un peu plus tard, sur le pont arrière, une main tenant le bastingage, I’autre serrant I’enfant, la petite valise de cuir bouilli posée à ses pieds.

Une sangle entoure la valise afin qu’elle ne puisse pas s’ouvrir comme si à l’intérieur se trouvaient des biens précieux. En vérité, elle ne contient que des vêtements usagés, une photographie que la lumière du soleil a presque entièrement effacée, et un sac de toile dans lequel le vieil homme a glissé une poignée de terre. C’est là tout ce qu’il a pu emporter. Et I’enfant bien sûr.

L’enfant est sage. C’est une fille. Elle avait six semaines lorsque Monsieur Linh est monté à bord avec un nombre infini d’autres gens semblables à lui, des hommes et des femmes qui ont tout perdu, que l’on a regroupés à la hâte et qui se sont laissé faire.

Six semaines. C’est le temps que dure le voyage. Si bien que lorsque le bateau arrive à destination,la petite fille a déjà doublé le temps de sa vie. Quant au vieil homme, il a l’impression
d’avoir vieilli d’un siècle.

Parfois, il murmure une chanson à la petite, toujours la même, et il voit les yeux du nourrisson s’ouvrir et sa bouche aussi. Il la regarde, et il aperçoit davantage que le visage d’une très jeune enfant. Il voit des paysages, des matins lumineux, la marche lente et paisible des buffles dans les rizières, l’ombre ployée des grands banians à l’entrée de son village, la brume bleue qui descend des montagnes vers le soir, à la façon d’un châle qui glisse doucement sur des épaules.

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